Dans le cadre du projet RAISE, VSF-Suisse collabore avec Action de Carême et différentes ONG locales, dont le Centre for Minority Rights Development (Cemiride) au Kenya. Nyang’ori Ohenjo de Cemiride était invité en Suisse la semaine dernière pour représenter son organisation et la société civile dans son ensemble lors d’une discussion de groupe au WEF à Davos. Lors de cette manifestation de haut niveau, une nouvelle alliance mondiale contre la faim et la pauvreté a été présentée, dans laquelle la Suisse s’est également engagée. Ralf Kaminski, rédacteur à Action de Carême, a interviewé Nyang’ori Ohenjo à l’occasion de sa visite.

Nyang’ori, tu participes pour la première fois au Forum économique mondial (WEF) de Davos. Que signifie cette invitation pour toi et Cemiride ?
C’est un honneur pour nous et une reconnaissance du travail efficace que nous faisons pour les minorités et les populations autochtones au Kenya depuis près de 20 ans. À ma connaissance, c’est aussi la première fois que les défis en matière de droits de l’homme pour ces groupes sont discutés au sein du WEF. Ce forum est particulièrement intéressant en tant que plateforme, car Cemiride se concentre principalement sur l’émancipation économique des minorités qui continuent de souffrir de la faim et de la pauvreté.
Pourquoi Cemiride a-t-elle été invitée pour représenter la société civile ?
Parce qu’au Kenya, avec le soutien de RAISE, VSF-Suisse et Action de Carême, nous avons réussi à montrer comment les voix des minorités défavorisées, des populations autochtones et des familles de petites exploitations agricoles peuvent être incluses dans les processus politiques. Le travail de développement ne peut être efficace que si les personnes concernées ont leur mot à dire, en particulier dans la prise de décision. Plus ces voix sont présentes, meilleurs sont les résultats.
Quels sont les résultats du WEF qui auraient un impact positif sur notre travail dans les pays du Sud ?
Le simple fait de participer à cet événement sur la nouvelle Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté (GAHP) est important pour nous. À l’approche du prochain sommet du G20 en Afrique du Sud, l’accent sera mis sur nos problèmes de faim et de pauvreté, ainsi que sur les défis quotidiens auxquels sont confrontés les familles de petites exploitations, les membres des communautés de pêche et d’élevage. Notre participation au WEF nous permet d’entrer directement en contact avec les principaux responsables de prises de décision.
Nous avons l’occasion de sensibiliser les responsables politiques influents, à nos préoccupations et à nos solutions efficaces. Idéalement, il en résultera des synergies entre les processus existants dans le cadre du Comité de sécurité alimentaire mondiale (CSA) et du GAHP. Après tout, le CSA est un forum unique dans lequel la société civile a une voix forte.
Vous disposiez de cinq minutes pour votre discours. Quel était votre message clé ?
Je soulignerai l’importance de permettre aux personnes touchées dans les pays du Sud de s’exprimer au sein de la nouvelle alliance et de participer à la prise de décision. J’insisterai également sur l’efficacité de leurs expériences et de leur expertise dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Nous intégrons ces voix dans les processus politiques au Kenya via RAISE, et obtenons des résultats concrets.
Il m’est également important de mettre en évidence à quel point les raisons de la pauvreté et de la faim sont diverses : Pour beaucoup, le problème n’est pas le manque d’argent, mais un manque d’accès à la terre ou à l’eau. C’est pourquoi il est crucial que les communautés concernées participent à l’élaboration des stratégies politiques, car elles connaissent mieux que quiconque leurs besoins.
L’accès à la terre est donc un facteur clé ?
Cet accès est crucial pour la sécurité alimentaire. Les terres font l’objet d’une énorme concurrence : les sociétés minières, les entreprises internationales agricoles et de production d’énergie souhaitant en acquérir de plus en plus. En conséquence, les populations autochtones et les familles de petites exploitations agricoles sont souvent chassées de leurs terres ou incitées à les vendre pour obtenir rapidement de l’argent. Or, sans terre, il n’y a pas de sécurité alimentaire à long terme. Si elles possèdent des terres et adoptent des méthodes agricoles agroécologiques, elles peuvent généralement produire des excédents à revendre.
Que peut apporter l’Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté à la lutte contre ces défis ?
Il y a effectivement un risque de duplication inutile des efforts déjà en place. D’un autre côté, il pourrait s’avérer précieux en tant que plateforme politique. Elle créera, espérons-le, la bonne volonté nécessaire pour faire progresser nos concepts fructueux et les mettre en œuvre à l’échelle internationale. Il est essentiel que cette alliance complète le CSA plutôt que de lui faire concurrence.
Que faut-il faire pour que les voix des personnes concernées soient entendues ? Et que les différents pays mettent en œuvre les droits énoncés dans l’UNDROP ?
De telles invitations sont certainement utiles, mais la participation à de tels forums internationaux est très coûteuse. Pourquoi le WEF ne change-t-il pas de lieu chaque année pour permettre aux minorités du Sud de s’y rendre plus facilement ? La mise en œuvre de l’UNDROP, quant à elle, nécessite des mécanismes contraignants et un financement suffisant dans tous les pays. La participation de la société civile est souvent temporaire et limitée à des projets spécifiques. Nous devons veiller à ce que le travail se poursuive même après le retrait de soutiens financiers, jusqu’à ce que des résultats durables soient obtenus.
Il existe de nombreuses réussites locales en matière d’éradication de la faim et de la pauvreté. Mais au niveau mondial, l’impact semble plutôt limité. Que devons-nous faire de mieux ?
De nombreux efforts réussissent au niveau local, mais n’affectent que quelques milliers de personnes dans certaines régions de certains pays. La question de savoir comment étendre ces efforts est d’autant plus urgente que le réchauffement climatique aggrave la situation dans de nombreux endroits. Pour qu’un plus grand nombre de personnes puissent bénéficier des concepts qui ont fait leurs preuves, les gouvernements nationaux doivent faire preuve de bonne volonté. En outre, le lobbying est essentiel à cet égard, comme nous le faisons déjà avec succès par l’intermédiaire de RAISE au Kenya. Par exemple, il y a des discussions directes avec le ministre de l’Agriculture sur l’utilisation des terres. Si nous parvenons à faire quelque chose de similaire dans d’autres pays, les réussites locales pourront être étendues.
Des progrès encourageants ont donc été réalisés au Kenya. RAISE a-t-il également amélioré la situation des communautés d’élevage qui se déplacent avec leur bétail ?
Oui, à plusieurs reprises. Par exemple, nous avons réussi à engager des discussions avec le gouvernement pour réaffecter à l’élevage des terres initialement vendues pour des projets de développement ou de construction.
Les autorités et les tribunaux ont compris que l’élevage est crucial pour la sécurité alimentaire au niveau national et qu’il est nécessaire de disposer de pâturages suffisants pour soutenir cette activité. Nous avons également aidé les nomades en leurs apportant des connaissances agroécologiques. Grâce à RAISE, un projet de loi est également en cours de révision afin de mieux protéger les droits des communautés d’éleveurs, comme l’a demandé l’UNDROP. Plus important encore, grâce à RAISE, des membres clés du gouvernement ont compris le lien entre la terre, le pastoralisme et l’alimentation – la terre est désormais considérée d’une manière très différente qu’auparavant.
Quels sont les autres défis à relever ?
Avant tout, nous avons besoin d’une plus grande cohérence dans nos progrès. Nous devons veiller à ce que le contenu d’un projet se poursuive, même lorsqu’il se termine. Pour cela, il faut que le gouvernement soutienne l’approche du développement fondée sur les droits de l’homme. Nous continuons à sensibiliser à l’importance de la participation de la population. Il serait également important d’adapter le droit foncier aux conditions locales, car il fonctionne encore selon les principes de la domination coloniale européenne.
Quel est votre degré d’optimisme quant à l’avenir du Kenya ?
Nous avons mis en place un réseau durable et réalisé des progrès qui survivront au projet RAISE. Je suis très optimiste !

Merci beaucoup à Action de Carême et au rédacteur, Ralf Kaminski, d’avoir partagé cette interview avec nous !