Dans le cadre du projet RAISE cofinancé par la DDC et dirigé par Fastenaktion, VSF-Suisse collabore avec le Centre for Minority Rights Development (CEMIRIDE) au Kenya. Nyang’ori Ohenjo, cofondateur et actuel chef d’équipe de CEMIRIDE, a été invité à faire une déclaration le 18 février 2025, dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU) du Kenya par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève.
Chaque pays fait l’objet d’un EPU tous les cinq ans. L’EPU permet à la société civile et aux ONG de contribuer à l’évaluation de la situation des droits de l’homme dans un pays donné. Cela se fait par le biais de ce que l’on appelle les présessions. Celle du Kenya a eu lieu le 18 février. Le projet RAISE se concentre sur le droit à l’alimentation notamment dans le cadre du processus de l’EPU.
Nyang’ori nous a expliqué comment il s’est engagé pour le droit à l’alimentation et le droit à la terre, les réalisations du projet RAISE et l’importance de structures solides qui soutiennent les communautés indigènes.
Bonjour Nyang’ori, parles-nous un peu de toi et de ce que tu fais ?
Je m’appelle Nyang’ori Ohenjo et je suis né en 1971. J’ai suivi une formation d’enseignant puis je suis devenu journaliste. Ce qui m’a toujours motivé dans mes études et mon travail, c’est le désir profond de contribuer au changement, au développement et à l’amélioration de la vie des gens.
Alors que je travaillais comme journaliste, nous avons discuté avec un ami, Korir Sing’oei, sur la meilleure façon de protéger les droits des minorités au Kenya. Un ancien camarade de classe et ami, Adam Hussein Adam, issu de la communauté nubienne, avait été victime de discriminations fondées sur son appartenance ethnique. En 2001, j’ai donc fait partie des membres qui ont créé le Centre pour le développement des droits des minorités afin de défendre les droits des minorités et des peuples autochtones au Kenya.

Pourquoi es-tu engagé pour le droit à l’alimentation ?
La question du droit à l’alimentation fait naturellement partie de notre travail. On ne peut pas parler du droit à l’alimentation sans aborder le droit à la terre, qui est au cœur de l’existence de nombreuses communautés en Afrique, y compris les communautés agricoles et indigènes. Le droit à l’alimentation est lié à la dignité humaine, car sans nourriture, on meurt de faim ou on dépend de l’aide alimentaire. La dignité humaine est la capacité de produire et de déterminer le type de nourriture que l’on consomme.
A propos du projet RAISE, comment faire la différence sur ces enjeux de droit à l’alimentation et de droit à la terre au Kenya ?
RAISE a inscrit la question du droit à l’alimentation à l’ordre du jour des droits au Kenya. Il a soulevé la question de la relation entre la terre et le droit à l’alimentation. Les activités de RAISE ont été délibérément conçues pour aborder non seulement la question des semences, mais aussi l’endroit où elles poussent, ainsi que les races, l’autre aspect des semences, lorsque l’on considère la production alimentaire.
C’est pourquoi le gouvernement discute actuellement de systèmes d’utilisation des terres qui reconnaissent et protègent spécifiquement les terres destinées à la production alimentaire. La relation entre la terre et l’alimentation prend également forme dans les diverses discussions sur la justice climatique, dans les conversations de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, en particulier lors de la Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Peux-tu nous parler de l’affaire Endorois sur laquelle vous travaillez au sein de RAISE ?
L’affaire Endorois a été la première affaire que CEMIRIDE a plaidée devant la Commission africaine. Elle défend les droits des peuples autochtones en s’appuyant sur la Charte africaine des droits de l’homme, en particulier le droit à la terre. L’affaire Endorois constitue alors un précédent pour la jurisprudence relative aux droits des populations autochtones en Afrique. Par la suite, de nombreuses autres affaires ont été portées devant les tribunaux. Les tribunaux se sont prononcés à plusieurs reprises en faveur des communautés, en se référant à l’affaire Endorois.
Il existe une relation très intéressante entre les droits de l’homme et les cadres internationaux, jusqu’au niveau régional, comme au sein de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Tous ces cadres sont interdépendants et peuvent être utilisés pour interpréter les droits de l’homme dans un contexte local. En outre, la question principale était celle des droits fonciers, dans le contexte culturel d’une communauté, comme le pastoralisme. Le pastoralisme est un système culturel à part entière. Il ne s’agit pas seulement d’élevage de bétail, mais d’un système de production alimentaire, ancré dans les moyens de subsistance des populations. Il permet aux Africains, qui considéraient les communautés d’élevage comme des êtres non civilisées, de commencer à les honorer.

Comment vas-tu utiliser la pré-session de l’Examen périodique universel (EPU) pour garantir que les droits fondamentaux des pastoralises, tels que le droit à la terre, continuent ou soient mieux respectés en période de changement climatique ?
Dans le cadre de l’actuel plan d’action national sur le changement climatique, le gouvernement a reconnu le rôle que jouent les peuples autochtones dans l’atténuation et l’adaptation du changement climatique afin d’assurer une meilleure résilience. L’une des lacunes est l’informatisation des pertes et des dommages subis par les communautés autochtones en cas de conditions météorologiques extrêmes dues au changement climatique. Cela est devenu visible lors de catastrophes récentes, telles que les sécheresses de 2009 et de 2022 – 2023, où nous manquons encore de chiffres sur les pertes de bétail. Les données sont importantes pour l’indemnisation afin d’aider ces communautés et pour la gestion de l’utilisation des terres.
Il est alors nécessaire de mettre en place un cadre d’engagement solide pour les interventions climatiques en faveur des populations autochtones. Il n’existe pas de stratégies ou de budgets permettant à ces communautés de s’engager de manière significative dans la conception des interventions liées au changement climatique. Nous travaillons dans un contexte où une grande partie du savoir autochtone a disparu. Nous avons vraiment besoin d’assurer la documentation de certaines connaissances et pratiques que nous pouvons ensuite améliorer pour la résilience climatique, comme les prévisions météorologiques traditionnelles. C’est ce que nous voulons que l’EPU permette de réaliser.
Vous avez formé les communautés lors de l’élaboration de la contribution de la société civile. Elles devraient donc être capables de suivre les recommandations, en particulier celles adoptées par le gouvernement. Comment vois-tu l’implication des communautés dans le processus de suivi des recommandations dans le cadre de ce quatrième cycle de l’EPU ?
Au début de l’année 2010, seulement une cinquantaine d’organisations participaient au quatrième cycle. Aujourd’hui, nous parlons de plus de 300 organisations. Il y a alors une meilleure compréhension sur le positionnement de l’EPU, car au départ, l’EPU était vu comme un autre talk-show. L’expérience montre qu’il y a de fortes chances que le Kenya soit intéressé par la mise en œuvre de ces initiatives. Dans ce cas, les minorités, les peuples autochtones et les communautés agricoles qui ont été impliqués auront une grande opportunité de participer activement à la mise en œuvre.
Nous espérons obtenir des ressources pour maintenir notre élan, car sans elles, il sera difficile de suivre les indicateurs que nous souhaitons mesurer après deux et cinq ans. Notre objectif est de positionner l’EPU de manière à attirer davantage de soutien, en particulier pour la mise en œuvre des recommandations. Les perspectives sont déjà prometteuses, car de nombreuses organisations manifestent leur intérêt pour le processus de l’EPU !
Merci beaucoup pour cet entretien !

Christian Wirz (VSF-Suisse), Claudia Fuhrer (Action de Carême) et Nyang’ori Ohenjo (Cemiride) devant les Nations Unies.